LES ORIGINES

La Tragedie Grecque

La tragédie grecque et la médiation humaniste.

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L’invention de la tragédie grecque à la fin du VIème siècle av. J.C n’est pas seulement la production d’une œuvre littéraire mais, à travers le spectacle, la reconnaissance d’une conscience tragique, l’avènement de l’homme tragique, à travers le combat qu’il mène toute sa vie avec lui-même et avec les événements auxquels il sera confronté. C’est une éducation, à travers l’évocation d’un mythe, à prendre conscience des véritables enjeux du destin. La tragédie lui offre un nouveau mode de se comprendre, de se situer dans ses rapports avec soi-même, ses propres actes, et dans son rapport aux hommes et au monde.  

Un mode d’éducation à la vie. 

L’homme est un être qui reste toujours le même et devient autre. Il a besoin de s’éveiller, de vivre sa vie en conscience pour ne pas rester dans la passivité et « la subir ». Il peut en devenir un acteur actif. La souffrance et, toutes les situations dont elle est la cause, peuvent devenir source de connaissance et d’évolution : d’enrichissement personnel au lieu d’être source de destruction. 

Les deux éléments essentiels de la tragédie grecque : la péripétie et la reconnaissance, offrent les deux étapes fondamentales de la médiation. La péripétie, c’est le renversement de la situation du personnage, elle devient toute autre de ce qu’il avait imaginé. La reconnaissance, c’est la découverte d’une nouvelle identité de soi-même. Nous imaginions nous connaître et c’est un autre soi-même qui émerge ; nous étions certains de comprendre la situation : elle se révèle une inconnue, un mystère. Le regard change sur soi-même, l’autre et la vie. 

Si l’un des secrets du bonheur est d’aimer la vie, la tragédie comme la médiation est un apprentissage en premier lieu à la paix avec soi-même, clé du bonheur que nous cherchons tous. Les actes accomplis, « par hasard », peuvent se révéler tout autre de ce que nous avions pu imaginer. L’histoire célèbre d’Œdipe en est l’illustration directe. Roi, comblé par le destin, il découvre qu’il a tué son père et épouser sa mère, dans l’ignorance totale de ce qu’il avait fait. A la découverte de l’horreur de ces réalités, il s’aveugle pour expérimenter l’état d’aveuglement dans lequel il avait vécu. De roi, il devient errant, mendiant jusqu’à ce qu’il puisse être en vérité avec lui-même et retrouver sa propre identité. Véritable passage des ténèbres à la lumière, sa vie est une métaphore du combat qui est au cœur de l’existence de chacun de nous, combat entre les ténèbres et la lumière, entre la vie et la mort. 

Une éducation citoyenne.

Mais de quelle vie et de quelle mort s’agit-il ? Du combat définitif, perdu d’avance, ou bien du combat quotidien entre les choix à faire : ce qui est juste ou ne l’est pas, victoire de mon égo ou attention à l’autre… La tragédie grecque, comme la philosophie, offrent une réflexion permanente en développant un chemin de connaissance de soi et de vérité pour pouvoir prendre les décisions justes, celles qui créent l’harmonie et la paix avec soi-même et ceux qui nous entourent. C’est une éducation individuelle et citoyenne à caractère social dont dépendait le bon fonctionnement de la cité grecque mais aussi de toutes sociétés. Platon avait voulu créer la cité idéale « Callipolis », la belle cité, une utopie, mais nous pouvons tendre vers la réalisation de ses objectifs : vivre en harmonie les uns avec les autres, vivre en paix. La paix qui est la clé du bonheur que nous recherchons tous.

La médiation humaniste n’a fait que reprendre ce qui est fondamentalement une éducation à bien vivre et à vivre ensemble dans l’accueil des obstacles que nous rencontrons. La demande de la justice de créer la première expérience de médiation pénale a offert un champ libre à une autre réponse que celle donnée par la justice pour répondre au chaos de l’homme. Il n’y a eu que transposition symbolique de la scène de la tragédie grecque à la salle de médiation. Les acteurs étaient déjà présents : les plaignants, et les médiateurs qui vont guider la rencontre comme le chœur dans la tragédie. Il n’y a pas de hasard : le choix du procureur fin 1983 de commencer l’expérience de la médiation avec la 7ème section du parquet de Paris chargé des cas de violence, a situé immédiatement l’objectif de la médiation : donner la parole à la violence, offrir la scène sur laquelle elle pourra s’exprimer…pour ouvrir un chemin de transformation et de guérison à cette souffrance. Dès son origine la médiation humaniste a dû rencontrer la dimension tragique de l’action. Elle a du devenir nécessairement transformative et réparatrice. Tel était le fondement même de son action : retrouver la paix.  

Un tribunal, l’Aéropage, avait été créé à Athènes pour juger les meurtres, il nous renvoie à l’évidence de la place de la violence dans nos sociétés. Ainsi la justice continuait à appliquer les règles du droit traditionnel tandis que la tragédie essayait d’offrir une éducation à la connaissance de soi avec pour finalité de rétablir la paix. Elle essayait de compléter l’action des tribunaux et se faisait en cela porteuse de la réalisation de l’objectif initial de la justice, comme le disait Aristote : rendre le bonheur. Il est très significatif que l’introduction de la médiation en France, et par cela même en Europe, ait pris place dans la justice quand, dans les pays anglo-saxons elle a été initiée dans le cadre social. Il fallait revenir au besoin primordial de justice de l’homme.

La tragédie grecque ouvre au processus de la médiation humaniste.

Jacqueline Morineau