LES ORIGINES

La Justice

La justice et les hommes

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Il n’y a pas de bonheur sans paix et pas de paix sans justice. Cette affirmation est le fruit de l’expérience millénaire des hommes. Depuis les temps les plus anciens les hommes ont cherché à rétablir l’ordre en face du chaos qu’ils créaient si souvent. Toutes les civilisations ont cherché à établir un cadre de vie pour créer un équilibre qui reste en dépendance étroite avec celui de l’homme lui-même, équilibre qu’il est, le plus souvent,  incapable de créer lui-même. La Bible nous dit que Moïse a été le premier dépositaire des tables de la loi et chargé de la transmettre aux hommes. Le code d’Hammurabi, écrit sur une stèle conservée au Louvre, témoigne de l’existence d’un code de lois babylonien datant de 1759 av. J-C. La loi va devenir l’instrument nécessaire pour promouvoir la paix permettant aux hommes de s’affranchir du chaos dont ils sont si facilement porteur. 

L’évolution des lois a toujours été en relation étroite avec les besoins rencontrées, toujours en devenir pour en arriver à être instrument de sa liberté. Au-delà de son origine transcendante, religieuse, la Révolution française a voulu leur donner une nouvelle identité : «  la loi s’attache à la droite raison et au bien public », quand, dans le passé, les juges affirmaient que « la loi ne pouvait vivre que par « l’esprit », et qu’ils incarnaient  eux-mêmes, l’âme et l’esprit de la justice. 

L’héritage de la Révolution a conduit à vivre une perte d’humanité dans les décisions de justice, révélant les carences d’une loi abstraite en dehors de sa dimension morale et sociale. Au début du XXème siècle les juges vont tenter de rétablir le rôle qu’ils avaient eu depuis les temps les plus anciens et restaurer dans la société la place du droit social. « Ce n’est plus la loi de l’Etat qui est sa légitimité …mais son adéquation avec la vie sociale…. Le droit cesse de se confondre avec la loi…l’équité retrouve sa place au centre de l’action de juger. » 

Ainsi la dimension humanitaire de la justice, qui l’avait fondée particulièrement depuis le haut Moyen-Age s’impose à nouveau car c’est la souffrance et la relation à l’autre qui doivent rester fondamentales. L’aide aux plus faibles, la générosité, le don gratuit devaient retrouver leur place dans le jugement. Le juge devrait retrouver sa responsabilité ancestrale de médiateur de la loi transcendante.  C’est bien aujourd’hui cette responsabilité qui semble incomber au juge car il y a une crise morale de la société. « On passe d’un système où la faute met en scène l’auteur du dommage subi à une conception de la responsabilité qui met au premier plan la réparation de la victime… Comment comprendre une telle tendance alors que la réparation intégrale n’est par définition jamais réalisable ? La souffrance appelle. »

Aujourd’hui la justice fait trop souvent face à une société en perte de ses repères moraux, sociaux et familiaux ancestraux. Une société en décomposition n’est plus capable d’assurer son autorégulation, elle est figée dans l’incompréhension de ce qui lui arrive et impuissante à faire face. Les familles, si souvent décomposées, n’offrent plus les repères nécessaires pour répondre aux situations de crise. Il ne reste plus qu’à se tourner vers une instance supérieure dont elle espère recevoir une réponse, ou, au moins, un apaisement, car au-delà du règlement d’un litige, c’est de la guérison de la relation qu’il s’agit le plus souvent C’est un immense vide moral lié au vide existentiel qui s’exprime derrière tant d’appels à la justice ; le besoin dépasse souvent le recours traditionnel à la loi.

Comment la justice peut-elle répondre à une pareille attente ? Saint Louis sous son chêne, trouvait le temps pour donner sa place à « la relation », l’expérience d’une rencontre, d’un échange dont chaque personne qui appelle, attend inconsciemment la guérison.  La relation, c’est « la présence à l’autre » que seule une liberté de temps et d’esprit peut offrir. Un véritable luxe par rapport à la charge de travail des juges aujourd’hui qui les prive, trop souvent de pouvoir exercer leur rôle en toute humanité.. 

Aristote disait que l’objectif de la justice est de rendre le bonheur aux hommes.  Cette quête est liée à une recherche ancestrale qui dépasse le champ d’action de la justice. Elle appartient au domaine de la pensée : la fameuse inscription « connais-toi toi-même » sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes, résumait l’enjeu de la vie de l’homme. Que ce soit à travers les religions, la philosophie et aujourd’hui les sciences cognitives, l’homme sait que la paix est le plus souvent liée à une recherche de connaissance de soi pour ouvrir à la vérité. La souffrance est liée au combat de l’homme avec ses pairs mais en premier lieu avec lui-même. Elle est, le plus souvent, le fruit d’une confusion réciproque qui amène à rendre « l’autre » responsable du problème.

Conscient de l’incapacité de la justice de pouvoir répondre à la véritable demande de nombreux justiciables, le Garde des Sceaux, Robert Badinter a introduit fin 1983 la médiation au parquet de Paris.

Le mot médiation remonte aux temps les plus anciens puisqu’il était déjà inscrit sur les tablettes d’argile sumériennes il y a 5000 ans.

Il signifiait le lien à rétablir entre Dieu et les hommes. A cette époque le lien ne pouvait qu’être perdu mais non pas inexistant, car il était inconcevable d’être dans la seule dépendance de la loi naturelle, loi trop souvent injuste et source de souffrance. Ainsi la dimension spirituelle appartenait-elle à la réalité quotidienne. Il suffit de faire une visite au Louvre dans le département des antiquités orientales pour en avoir le témoignage. Il y a une collection étonnante de sculptures mésopotamiennes de grandeur nature, qui, dans leur hiératisme, témoigne d’une verticalité reliant la terre au ciel, les yeux fixés vers l’infini, en relation directe avec le transcendant.

La dimension surnaturelle appartenait à la réalité quotidienne. C’est à travers une évolution récente que l’homme s’est convaincu qu’il pouvait contrôler sa vie et le monde par ses propres forces.  Au contraire, à travers l’ancienne médiation humano-divine, l’homme reconnaissait sa faiblesse et se soumettait à la loi transcendante. C’est à travers une évolution récente, particulièrement de la Renaissance au siècle des Lumières, culminant au XXème siècle, que l’homme s’est convaincu qu’il pouvait contrôler sa vie et le monde par ses propres forces. Au contraire, à travers l’ancienne médiation humano divine, l’homme reconnaissait sa faiblesse et se soumettait à la loi transcendante. Il s’agissait d’une forme de culture qui n’était pas nécessairement liée à une foi religieuse, mais cette culture offrait prioritairement un cadre de vie et des valeurs pour rendre la vie commune possible.

L’appel à la médiation semble vouloir relier la conception ancienne de la justice dans laquelle « la loi ne pouvait vivre que par l’esprit » avec une approche humaniste en lien étroit avec nos origines  culturelles gréco-latines. Celles-ci prennent leurs sources mêmes dans l’évolution des civilisations du Proche-Orient. Il n’y a pas eu de miracle grec : il s’inscrit dans une longue filiation, initiant avec la Mésopotamie, l’Egypte, la Grèce étant le lien le plus direct pour nos cultures européennes.

La médiation humaniste n’a fait que reprendre un héritage que nous ont laissé nos ancêtres.

La tragédie grecque : mode d’emploi de la médiation humaniste.

Jacqueline Morineau