Vérité, équité, liberté, conscience, ces mots dans la médiation font écho à l’éthique du juge. Ces mots sont intimement liés à l’esprit et non pas à la lettre de la loi. L’indépendance de leur mission est un élément permanent et fondamental de leurs revendications, car sans cette liberté, ils ne peuvent pas œuvrer en vérité et selon leur conscience. Cette définition peut être reprise à la lettre pour l’éthique du médiateur qui fonde le processus de son action.
Le développement de la tragédie grecque, qui va devenir celui de la médiation humaniste, était lié à trois étapes :
— La theoria : c’est l’exposé des faits, du vécu de la situation par chacun. Pour la première fois ils sont obligés de s’écouter, quand, dans le passé, personne n’écoutait l’autre : les échanges étaient devenus le plus souvent deux monologues continuels, chacun construisant sa propre vision d’une histoire commune.
La présence des médiateurs est fondamentale, elle a en premier lieu une dimension sécurisante. Ils ne sont pas seuls dans une rencontre qui leur est le plus souvent insupportable. Chacun, l’un après l’autre, donne sa version du problème. A la fin des deux exposés un médiateur fera une synthèse des points essentiels évoqués par chacun. Ces synthèses sont aussi impartiales et objectives que possible. Dans la tragédie, le chœur et le coryphée ont des rôles similaires et différents à la fois. Ils sont la voix du citoyen qui, comme le médiateur, a entendu leur problème, mais aussi la voix du bon sens, par rapport à la situation. Ainsi s’ouvre un véritable questionnement sur la situation et le positionnement de chacun par rapport à lui-même et à l’autre. La dualité qui caractérise le conflit donne sa place à l’ambiguïté qui caractérise le conflit. Ce n’est pas juste tout noir ou tout blanc comme chacun avait voulu le croire. L’esprit duel du conflit est clairement établi, la place de l’ambiguïté est nettement établie, cette place est déterminante dans l’action tragique.
— La crisis : l’exposé du vécu de chacun provoque nécessairement de fortes réactions chez l’autre. Ils commencent par se rencontrer en face à face sur le terrain de leurs oppositions et contradictions. Cette étape leur offre la confrontation possible de leurs désaccords, de leur souffrance, de leur cri, mais aussi de leurs interrogations. C’est l’espace que la justice évite soigneusement de donner car il fait peur. La confrontation avec le cri de chacun peut nous renvoyer à notre propre cri que nous ne voulons pas entendre. Dans la médiation humaniste il n’y a pas de limite de temps, nous sommes dans un espace autre, hors du temps qui meurt, Kronos, pour entrer dans le temps de l’éternel retour que les Grecs appelaient « kairos », temps de la juste opportunité, du moment présent à vivre.
Cette confrontation nous situe au cœur de l’action tragique, la souffrance, le cri des protagonistes, combat avec eux-mêmes, combat avec l’autre. La crisis donne toute sa place aux émotions, celles-ci sont infinies mais vient le moment quand elles deviennent stériles : répétitives, simple miroir du conflit permanent vécu. Vient alors un nouveau besoin, celui de toucher à une dimension plus élevée de soi-même : besoin de vérité, respect, liberté… Nous allons au-delà des émotions : ce sont les valeurs, l’homme ne peut se sauver qu’en s’élevant. Les médiateurs accompagnent alors soigneusement les médiants sur cet autre champ à travers lequel des prises de conscience commencent. Un des médiant a clamé son besoin de vérité. Il devient réciproque, les valeurs sont un bien commun, nécessaire pour vivre en humanité. Elles ouvrent à la possibilité d’un dialogue, peut-être pour la première fois. Ils ont quitté le langage de la guerre. C’est un autre regard de chacun sur soi-même et l’autre, une nouvelle vision de la situation. Nous arrivons à la phase finale : la catharsis.
— La catharsis : le mot indique la purification, le nettoyage. La médiation se révèle un chemin de connaissance et de vérité. Nous sommes arrivés au moment où chacun a découvert un nouveau regard sur soi-même et la situation. C’est un nouveau regard sur l’avenir avec la possibilité, non pas nécessairement de reprendre une relation mais de découvrir un nouveau positionnement, non plus dans l’agressivité permanente mais dans la paix. La fin d’une médiation n’est jamais une fin en soi, elle est une porte ouverte sur une nouvelle relation avec soi-même, l’autre et la situation. C’est un chemin de libération et d’espérance sur lequel chacun s’engage.
Accueillir le temps de l’espace tragique nécessite de la part des médiateurs une solide formation qui les a conduits à vivre eux-mêmes l’expérience de la rencontre avec leur propre souffrance, expérience universelle de tout être humain. Les médiants et les médiateurs participent à la même quête de l’homme : comment vivre en paix et harmonie avec soi-même et avec les autres. C’est un chemin d’humanisation réciproque qui est le fondement de la formation à la médiation humaniste pour ouvrir à un partage d’expérience nécessaire aujourd’hui au niveau universel. Ce chemin ouvre à la prise de conscience individuelle de la nécessité d’élargir le champ d’application de la médiation à sa dimension universelle et d’entendre le cri de notre planète terre afin d’essayer d’y répondre.
Jacqueline Morineau